A tous ceux que devoir prier désespère

Le Père Maurice BELLET vous livre ses secrets
 pour trouver des chemins de prière tout près de chez vous !

C'est en 1993 que Maurice Bellet a publié ce magnifique texte dans la revue
 "Cahiers pour croire aujourd'hui" sous le titre incroyable de

17 manières de prier sans en avoir l'air

1ère manière : Marcher
Marcher de long en large dans une église romane, belle, assez grande Saint Philibert de Tournus par exemple ou dans une église gothique Chartres, Reims, Bourges ou baroque, comme la Wieskirche
et ne penser à rien rien du tout
laisser le regard errer
laisser la pierre chanter
laisser le lieu dire
et s’en aller, au bout d’un temps,
sans aucune hâte.

2ème manière : Lire
Lire un livre de forte pensée
avec un désir fort de la vérité
sans avidité de savoir
sans prétention à disputer
mais par goût, par amour de la vérité.
Ouvrir la porte profonde à toute pensée qui vient
et la laisser demeurer en paix afin qu’elle vienne à porter son fruit.

 

3ème manière : Ouvrir
Ouvrir la sainte Écriture
ouvrir seulement le Livre
et partir en songerie
imaginer son propre livre
se raconter des histoires
laisser remuer ses propres vieux mythes de cruauté,
de triomphe, de sensualité,
de désespoir, d’amour, de charité
avec le parfait narcissisme de ces choses-là
et lire, dans le texte, deux mots.

4ème manière : Dire
Dire une demande du Notre Père
une seule,
une seule fois.

5ème manière : Se désoler
Se désoler infiniment de ne pas prier gémir
intérieurement tout le jour
d’être incapable de la moindre invocation
la moindre lecture
pas même de l’évangile
d’être là froid, sec,
absent et heureux ailleurs sans Dieu, sans Christ, sans tout ça
et en souffrir
et décider enfin de s’en remettre là-dessus à Dieu
et attendre, hors de toute pensée.

6ème manière : Dormir
Dormir
et le coeur veille.

7ème manière : Comme un petit enfant
Comme un petit enfant,
dire des choses à Dieu
prière, supplication, rage ou tendresse
regret ou jubilation
ça échappe
on ne s’en aperçoit même pas
sinon quelquefois après coup.
Celui qui parle ainsi en nous
est l’enfant
toujours à l’aurore de la vie naïf
comme la volonté divine.

8ème manière : Converser
Converser de choses et d’autres
et soudain
il se fait
sans mon Dieu qu’on l’ait voulu
qu’on se met à parler de l’essentiel
la vie, la mort,
l’avenir de l’humanité, l’amour,
la vérité Dieu peut-être,
et peut-être pas, la religion chrétienne,
les grands chemins de l’homme.
On en parle les uns aux autres,
sans haine, sans controverse,
sans passion basse,
mais parce que cela importe plus que tout le reste
et qu’on en parle si peu souvent
et dans la conversation
celui qui en Jésus Christ
laisse passer quelque chose de l’Annonce
pas tant parce qu’il s’y croit obligé
que parce qu’il est comme ça,
c’est en lui,
sa parole porte la Parole
et il arrive que quelqu’un écoute
et le fond du cœur est ouvert.

9ème manière : Ouvrir encore
Ouvrir la Sainte Écriture
et ça y est !
Ce n’est pas un livre,
ce n’est pas le Livre,
c’est le lieu de la Parole qui s’entend
par-delà les mots rêve
sans rêve
en marge du texte
en son milieu résonance
à travers toutes les épaisseurs de la vie
fontaine dont la source est invisible
pensées, images,
paroles mouvements sobres du coeur
la Lettre est nécessaire
l’esprit va
car le sens de l’Écriture,
c’est la vie sauve.

10ème manière : Désirer
Désirer,
désirer désespérément
désirer jusqu’à la douleur et la détresse
jusqu’au grand vide amer
désirer que ce soit autrement
désirer la fin des cruautés, des folies,
de la bêtise, de l’abject,
désirer la gaieté, la lumière, la tendresse
avoir si faim,
avoir si soif du monde différent
et de soi-même différent.

11ème manière : Ecrire
Ecrire par plaisir,
par goût,
pour voir écrire
pour écouter ce que le bruit ordinaire recouvre ou embrouille
y compris le bruit des mots.
Laver les mots
jusqu’à ce qu’ils soient tout purs
et ronds et lisses
ou bien aller par les chemins foisonnants
ou bien refaire,
indéfiniment refaire
pour approcher un peu plus ce qui manque
et insiste
écrire pour aller vers le point là-bas
qui communique avec l’au-dessus
et l’en-deça de tout mot.

12ème manière : Ecouter
Ecouter la musique
La Messe en si mineur de Jean-Sébastien Bach par exemple
spécialement Incarnatus, Crucifixus, Resurrexit
ou bien autre chose
pas nécessairement de la musique religieuse
mais écouter dans la profondeur
écouter le chant du nouvel Orphée présent à toute musique humaine
incarnation, crucifixion, jubilation.
Si l’on peut, chanter soi-même
et jouer de l’instrument,
c’est encore mieux !

13ème manière : Se tenir
Se tenir dans la paix
qui est l’harmonie des puissances
au-delà (certes) du tourbillon
au-delà de l’abstention sereine
au-delà de l’abandon volontaire des héros
dans l’harmonie des puissances
coïncidant avec la plus humble humilité.
Ceci, dans le médiocre des jours sans hauteur,
sans savoir et quelquefois sans grâce.

14ème manière : Sortir
Sortir de l’église
quitter la célébration
parce qu’on ne supporte plus
parce qu’on ne peut plus rester
à cause du trop d’intensité et de hauteur de ce qui est censé se faire là
en contraste avec l’échec navrant de ce qui s’y passe en fait
quitter sans scandale,
sans contestation,
avec tristesse
et le désir endurant que se lève à nouveau.
Comment ?
comment ?
la lumière du grand poème où s’inaugure toutes choses.

15ème manière de prier : Douter
Douter,
intensément douter de Dieu quoi,
il y aurait un Dieu bon et tout puissant
avec toute cette cruauté dans la nature
avec l’infernale cruauté humaine
les enfants crevants de faim,
les exploités, les névrosés,
les abrutis, les alcooliques,
tous les déchets humains ?
Elle est belle, l’image de Dieu !
Et qu’est-ce que Dieu
sinon la pauvre petite idée élaborée
sur la planète où nous sommes rien,
au sein de l’univers éclatant
vers des dimensions inimaginables.
Objections,
objections,
agonie de Dieu au coeur de l’homme de foi.
Il a répondu cent fois,
mais il s’agit d’absence
Pauvre Dieu en agonie
comme son Verbe identique à Lui au jardin des oliviers
quand ses meilleurs amis dormaient...
Ce n’est donc pas si peu que de le veiller.
En son agonie.

16ème manière : Simplement le réel
Ni les images,
ni le texte,
ni le lieu
ni l’heure
ni la parole qui sourd du coeur
ni la répétition lasse et attentive
pas même le silence
mais simplement le réel
terriblement réel et plat,
les choses,
la surface,
la conversation sans but,
les tâches,
les loisirs,
manger,
rêver,
dormir
et la souffrance intolérable,
indicible
tellement souffrante qu’on n’en souffre pas
l’attente nue de ce qui doit venir au monde
pour qu’il en soit sur la terre comme au ciel.

17ème manière : Travailler
Travailler de ses mains
à des tâches ménagères,
à la couture,
à son métier,
à du bricolage
et faire taire la radio
et tout le brouhaha intérieur
écouter ce qui parle sans mots
tandis que les mains s’occupent et occupent la surface de l’âme.
Ou bien, conduire une automobile très détendu,
attentif,
courtois
tandis que cette occupation laisse libre une pensée
sans pensée
qui mûrit d’ailleurs.